Temples et autres
Les grandes architectures, les temples, les tombeaux majestueux, les châteaux imposants, les gratte-ciel ou encore les cathédrales exercent un impact indéniable, leurs magnificences touchent beaucoup de personnes.
Je peux comprendre cette attirance pour leur beauté et leur splendeur, mais cet enthousiasme et cet émerveillement ne prennent en compte que l’emballage au détriment du contenu, me semble-t-il ?

D’où vient cette admiration ?
Cette fascination est-elle innée ou acquise ?
Je reste peu sensible à ces structures, tant je sais que leurs fondations s’appuient pour la plupart sur la misère, la spoliation, le colonialisme. Mon engouement se porte plus sur leurs bâtisseurs, ces hommes inventifs, ces créatifs de l’ombre qui ont œuvré à l’élévation de ces monuments, au péril de leur vie.

Je ne peux qu’avoir un gout amer en pensant à l’origine des ressources qui permirent d’ériger de tels édifices glaciaux que l’on tente de réchauffer à coup d’or, de pourpre et de pierres précieuses.
Je ne sais pas si Dieu a réellement parlé, mais il pourrait dire au croyant :
Baruch Spinoza (1632-1677)
[…] Arrête d’aller dans ces temples sombres et froids que tu as construits toi-même et dont tu dis que c’est ma maison !
Ma maison est dans les montagnes, dans les bois, les rivières, les lacs.
C’est là où je vis avec toi et que j’exprime mon amour pour toi.
Arrête de m’accuser de ta vie misérable, je ne t’ai jamais dit qu’il y avait quelque chose de mal en toi […]
Dans mon exposition « In-Visible », j’aborde ces questions dans une allusion discrète avec la photo
« Labeur »

accompagnée de son « haïku » (petit poème)
Qui se soucie de regarder
Takano Suju (1893-1976)
La fleur de la carotte sauvage
Au temps des cerisiers
Éducation et Culture
Je pense que l’admiration ressentie pour les grandes architectures est largement influencée par des facteurs acquis plutôt qu’innés. Dès notre plus jeune âge, l’exposition à des histoires, des images et des représentations façonne notre symbolique de ces éléments. Les contes de fées, puis les films nous transportent dans des mondes de châteaux majestueux, de royaumes lointains, et de trésors incommensurables. Les récits nous plongent dans des temps où les monuments étaient des témoins de pouvoirs et de gloire. Les médias d’aujourd’hui continuent de célébrer la richesse dans les clips vidéo et le prestige associé à ces immenses constructions perdure comme emblème de l’accomplissement.
Cette éducation précoce crée une toile de fond qui nous pousse à vénérer ces symboles de fortune et de puissance. Nous apprenons à les voir comme des réalisations exceptionnelles, des vestiges d’une époque révolue, ou des indices de la magnificence humaine.

Normes sociales de la réussite
En outre, nos normes sociales et nos idéaux de réussite jouent un rôle essentiel dans la formation de nos attitudes envers ces éléments architecturaux imposants. Dans de nombreuses cultures, la richesse et le pouvoir sont valorisés, le succès personnel se quantifie par la possession de biens luxueux.
Les grandes constructions, palais, mausolées ou gratte-ciel, se deviennent des symboles visibles de ce succès, ce qui les rend encore plus admirables pour ceux qui aspirent à ce but.
Paradigme
Mon désir ardent ne se porte pas vers la contemplation de villes antiques comme Syracuse, mais plutôt vers la découverte et la mise en lumière de vestiges oubliés : ceux des hôpitaux, des bibliothèques et des universités. Il se pourrait bien que ces précieuses traces du passé soient reléguées dans l’ombre de l’histoire.
Dans mon monde « idéal », au lieu de consacrer d’immenses ressources à ériger des mausolées, gigantesques coffres-forts ou des cathédrales grandioses, conçus pour honorer un dieu qui semble justifier le pillage des richesses d’autres contrées, je me dédierais de préférence à résoudre les problèmes du présent, à atténuer les souffrances actuelles qui affligent notre société. Plutôt que de célébrer un passé lointain, je privilégierais la compassion, l’éducation et les soins de santé, offrant ainsi un meilleur cadre de vie pour tous.
Le médecin-écrivain Paul Brand a écrit que le premier signe de civilisation dans une culture ne résidait pas dans la découverte des hameçons, des casseroles en terre cuite ou des moulins en pierre, mais dans un fémur cassé puis rétabli.
Ce fait anecdotique parait si anodin aujourd’hui, en effet, dans le règne animal, si tu te brises la jambe, tu meurs, explique-t-il. Tu ne peux pas fuir le danger, ne peux pas aller à la rivière pour boire ou chercher de la nourriture.
Cette blessure, et sa guérison prouve que quelqu’un a pris le temps de rester avec celui qui est tombé, a bandé sa plaie, l’a emmené dans un endroit sûr et l’a aidé à se remettre.
Cette histoire est peut-être mal attribuée (lire ce complément d’information).
Épauler quelqu’un d’autre dans les difficultés est le point où la civilisation commence.
Peu importe l’auteur des lignes ci-dessus, l’idée, le geste, aussi symbolique, devient plus admirable qu’une Rolex®.
(Tiens ! Je viens d’apprendre que Rolex® s’écrit avec qu’un seul «l», une montre de ce prix qui ne peut même pas voler).1
Que penser d’une société qui encense l’accumulation de richesse pour une élite, et ne réfléchit que sur le plan d’addition ?
En utopiste, j’aimerais que l’on oublie le coût et qu’on privilégie la valeur.
Leçon de Théo
Où l’on voit qu’une rondelle est un trésor.
Au cours d’une promenade en forêt, Théo la ramasse sur le chemin, et acquiert une valeur inestimable grâce à sa singularité.
À chaque fois qu’il la contemplera, elle ravivera ses souvenirs des moments passés à la trouver, des lieux visités, ainsi que des émotions et sensations ressenties.
Sa véritable essence réside dans les expériences, les évocations et les impressions emmagasinées et ce qu’elle remémore, bien au-delà de son coût financier.
À mon avis, cette valeur demeure stable dans le temps, contrairement à l’argent, qui semble plus volatil et éphémère. La richesse peut être gagnée ou perdue, elle peut être dévaluée par l’inflation, ce qui en fait un fondement précaire pour la quête du bonheur et de la satisfaction. Certes, la monnaie permet l’achat de nourriture et de vêtements, mais elle ne possède pas de signification intrinsèque.
Elle n’est qu’un moyen d’échange.
Impermanence
Si nous comprenons l’impermanence de l’argent, nous pouvons commencer à le voir sous un jour différent, à reconnaître qu’il n’est pas une fin en soi, mais simplement un moyen de nous aider à vivre plus épanoui. Il peut être utilisé pour créer de la valeur, mais il ne peut pas la remplacer.
Toutefois, le fantasme de la richesse matérielle et du pouvoir semble remplir l’existence d’un certain nombre.
L’impermanence, cette notion fondamentale, régit tout l’univers, ainsi que nous-mêmes.
Rien n’est figé, tout transite, mais comme souvent, les choses les plus simples restent difficiles à appliquer, peut-être par paresse ou parce qu’on ne réfléchit pas vraiment au mot qu’on utilise,
« Jamais » et « toujours » le prouvent.
Je serai toujours là pour toi !
Je ne quitterais jamais !
Deux phrases courantes qui rassurent un enfant, mais qui le prépare, à un avenir douloureux. Non, tu ne sera pas toujours là, et ne ment pas, tu partiras…
La compréhension de cette réalité qui aboutit à une vision plus profonde de la vie, conduit à une plus grande liberté. Lorsque nous saisissons ce mouvement constant, les joies et les peines deviennent éphémères, nous pouvons apprendre à réduire nos attachements aux biens et aux ambitions de pouvoir, jusqu’au détachement.
Le détachement
Longtemps, j’ai pensé que le détachement signifiait tout abandonner, pour vivre dans une grotte.
Mais non, prendre du plaisir en compagnie des gens ou des choses est compatible avec le détachement.
La notion renvoie plutôt au fait que le fait de se cramponner à qui que ce soit ou à quoi que ce soit, nous cause des problèmes.
On devient tributaire de l’objet ou de la personne quand on estime :
« Si je le ou la perds un jour ou si je ne le ou la garde pas pour toujours, je serai désespéré ».
« Je mange ce que j’aime, ça va bien, sinon, ça va aussi ; ce n’est pas la fin du monde ».
Ne pas s’accrocher, s’attacher, amène au détachement.
Conclusion
Les contes de fées, les films, les médias et nos normes sociales nous enseignent à vénérer certains emblèmes de richesse et de puissance.
Cependant, je crois que la valeur véritable des temples ne réside pas dans sa taille, son ornementation ou sa signification symbolique. Elle existe dans l’histoire qu’il raconte, dans les personnes qui l’ont construite et dans les expériences qu’il suscite chez ceux qui l’observent.
« La beauté réside dans l’œil de celui qui regarde. »
Comme le montre l’exemple de mon petit-fils, un objet peut avoir une valeur inestimable, même sans coût monétaire pourvu qu’il soit chargé d’histoires, d’émotions et de sens.
À l’ère de la consommation à outrance, l’idée de la perte devient une source de stress, à contrario les expériences, les relations et les souvenirs, bien plus précieux, apaisent.
Le détachement ouvre à l’acceptation de la réalité, libère des extrêmes, dans la voie du juste milieu. Ainsi préparer, on peut attendre de la vie que des bonnes choses, et aussi savoir accueillir ses aspects déplaisants.
Imaginons un monde, sans grandes architectures égocentriques ou religieuses, où les ressources massives serviraient dans des initiatives humanitaires, l’éducation, la santé et la préservation de notre environnement.
Comment pensez-vous que cela aurait affecté la société, la culture, la spiritualité et les individus ?
Note
- Pour ceux qui n’auraient pas la référence, un indice ici. ↩︎
Une merveille…
Oh merci Michelle, je suis très touché par ton message.
Merci pour ces réflexions profondes à lire et relire.
Brigitte
Merci à toi pour ton commentaire.
Je suis ravi que tu aies trouvé dans mes réflexions l’envie de lire et de relire.
Je pense profondément que la véritable valeur réside dans les expériences, les relations et les souvenirs. À bientôt…
Merci toujours un plaisir de vous lire car vous êtes des personnes formidables
Angie,merci.
P.S. : Je suis heureux de t’avoir fait plaisir.
P.P.S. : J’apprécie ta gentillesse et ta bienveillance.
P.P.P.S. : Je te souhaite une belle journée.
P.P.P.P.S. : Je t’invite à visiter mon exposition « In-Visible ».
P.P.P.P.P.S. : N’hésite pas à me contacter si tu as des questions ou des commentaires.
P.P.P.P.P.P.S. : Je te remercie de ton soutien.
P.P.P.P.P.P.P.S. : Je te souhaite tout le bonheur du monde
(Je rigole, je rigole…)
Encore merci !
Théo a bien raison pour la valeur d’un objet. Mais nous n’aurions rien à admirer et à photographier si ces grands monuments n’avaient pas été construits. Et il y aurait dans de domaines qui pourraient servir à des initiatives humanitaires. Mais c’est une autre histoire. Bravo mon ami
Chère Kathy,
Merci pour ton commentaire.
Je suis d’accord avec toi sur le fait que les grands monuments sont des œuvres d’art remarquables qui méritent d’être admirées. Ils sont le fruit d’un travail acharné et d’une importante créativité, et ils nous transportent dans d’autres mondes et époques.
Cependant, je crois que la valeur de ces édifices est plus que simplement esthétique. Ils nous racontent aussi des histoires, de pouvoir, de religion, de culture et de société. Ils nous permettent de comprendre le passé et de réfléchir au présent.
Les ressources investies dans leur élaboration de ces bâtiments auraient pu être utilisées à de différentes fins, notamment charitables. Impossible pour moi d’ignorer cette réalité et cette question mérite d’être débattue.
Trouvons un équilibre entre l’admiration pour les grands monuments et la conscience de leur coût humain. Nous pouvons apprécier leur beauté et leur valeur historique, tout en reconnaissant les injustices qui ont parfois été commises pour les construire. Bises.