En 2009
Voici comment je me retrouve, dans la vase thaïlandaise, entouré d’une bande de joyeux lurons !
Près de Chiang Raï, sur la route du célèbre temple blanc, une scène bucolique attira notre attention. Un miroir d’or dans le soleil couchant s’animait d’un vol de héron garde-bœuf. Des éclats de voix couvraient les chants lointains des นกกาเหว่า 1.
Alors que nous ralentissions, un cri taquin nous interpella :
—Hello!
Le groupe courbé sur leur tâche se releva et lança en chœur :
—Hello! Hello!
Je me retrouvais, dans la vase thaïlandaise, entouré d’une bande de joyeux lurons. Dépaysant, oui, mais aussi des riziculteurs 2. 🤣
Sommaire
Dans la vase
Dans la chaude lumière de cette fin de journée, les pieds nus dans l’herbe tendre qui bordait la parcelle inondée, j’hésitais devant cette eau noire, l’appréhension d’une morsure, d’une piqure ou simplement de l’inconnu me serre le cœur. Allez Alain ! courage.
L’onde à la suave tiédeur happa mes orteils et m’enhardit. La terre douce et agréable s’insinua entre mes doigts, comme dans un pot de crème fraiche.
Durant des millénaires, l’homme derrière le buffle mène le soc. Année après année ; saison après saison, sillon après sillon, ils œuvrent de concert, sans relâche pour rendre cette terre soyeuse, fertile, abondante.
La plus jeune, la moins timide du groupe me lança, d’un geste précis, ma botte de riz à repiquer. J’eus droit à une douche gratuite. Mes maladresses et mes pas hésitants déclenchaient des conversations et des hilarités. Mais je sentais au fond des encouragements et de la bienveillance. Ses sourires radieux me donnaient du baume au cœur. Je pataugeais dans la boue comme un hippopotame en tutu.
J’ai préféré laisser la place aux professionnels, je pressentais qu’une carrière de danseur se profilait à l’horizon.
Comme une dernière boutade, avant de reprendre la route, en montrant le pauvre mètre carré péniblement planté, je lançais :
— ข้าวของผม 3
— ค่ะ 4
Répondit le chœur…
Une promesse est une promesse…
En attendant
Aujourd’hui, nous avons rendez-vous de bonne heure avant que l’astre de feu ne brûle la peau des ฝรัง่ 5. Nous attendons notre guide sous l’immense tamarinier dispense son ombre bénéfique. Je remarque une motobike arrêtée au bord de la route que je traverse en grandes enjambées athlétiques.
Oui, la curiosité me pique.
Je surplombe, depuis le talus, un lac, ses vaguelettes se transforment dans les rayons solaires en une multitude de paillettes étincelantes. Dans l’onde trouble chargée d’alluvion jaune ocrée, une dame et son fils ramassent des escargots d’eau.
– สวัสดีครับ 6, un échange de sourire, un cliché avec mon téléphone, et Fabienne m’appelle, notre accompagnatrice arrive.
Elle descend de sa moto, ôte son casque, qui devoilant son bob au tissu coloré. Ses longs cheveux noir de jais débordent de toute part, encadrant son visage ponctué de deux verres noir et brillant. Elle s’avance vers nous avec un grand sourire qui révèle ses dents blanches. D’un geste, elle retire les lunettes qui caché ses yeux en amande, et nous lance un charmant :
– สวัสดีจ้า 7 suivi du ไหว้ 8 traditionnel.
Elle parle en anglais, comme un feu d’artifice, ses mots éclatent dans l’air avec rapidité. Je décroche, mon anglais plus que rudimentaire ne me permet pas de comprendre. Après nos présentations, nous enfourchons sur nos montures. Nous sillonnons des petits circuits fleuris et odorants de sa province, la vitesse de 30 km/h, autorise d’en apprécier toutes les subtilités. Même à cette vitesse, la vigilance est de rigueur tant les surprises les plus diverses peuvent surgir à tout instant. Les poules, chats et autres chiens respectent un Code de la route local…
Le temple du village
Le temple représente la communauté, richement décoré, il appartient à un village plutôt aisé, plus simple pour un hameau modeste.
Mais c’est commun à beaucoup de religion, non ?
Nous avions bien remarqué, depuis le temps, que les bâtiments s’agençaient, peu ou prou de la même manière.
Trois parties distinctes, la cour, วิหาร 9 ou la salle d’enseignement et le โบสถ์ 10 qui constitue le sanctuaire principal dans lequel se pratiquent les cérémonies bouddhistes.
Le vihara
Le temple est ouvert à tous, chacun peut venir y prier, s’adonner à la méditation ou simplement se reposer. La chaleur du soleil caresse la peau et le chant des oiseaux berce les âmes. Dans la cour, un groupe de vaches paisibles rumine, leurs flancs bruns se balançant au rythme de leur respiration lente et reflètent la lumière tandis que leurs yeux contemplent le monde avec une sérénité contagieuse. Nous laissons ces ouvrières en plein travail et reprenons notre découverte.
Après notre visite du temple, nous nous dirigeons vers la rizière de Chon, curieux de cette nouvelle rencontre.
Le riz
Nous arrivons dans le hameau, un bâtiment en bois sur un soubassement de brique rouge, en bord de route comme on en voit partout en Thaïlande. C’est un magasin restaurant-bar-épicerie-station essence-tabac-bouteille de gaz-fruits et légumes, bref une grande surface, mais en tout petit !
Chon
Un véritable tourbillon d’énergie et de contradictions, à l’image de ses couvre-chefs,
son chapeau de paille coloré l’ancre dans la tradition comme un temple bouddhiste. Ensuite, le bob, clin d’œil à la modernité et à l’influence occidentale, apporte une touche d’excentricité et de gaieté.
Porterait-elle, dans sa journée plusieurs casquettes !
Serait-elle une femme-orchestre capable de jongler entre les rôles de mère, d’épouse, de travailleuse et de reine du foyer ?
Serait-elle une femme caméléon qui s’adapte à toutes les situations, du marché au temple en passant par les champs ?
Alors, oui, cette Thaïlandaise aux multiples chapeaux, véritable symbole de la femme, assume ses diverses facettes et refuse de se laisser enfermer dans une seule case. Cette femme nous rappelle que, derrière chaque sourire et chaque couvre-chef, se cache une histoire personnelle unique.
Après les présentations, elle nous accompagne voir sa plantation de riz familiale.
Visionnaire
Le roi Rama IX lança, provoquant l’hilarité des multinationales, l’économie d’autosuffisance, en favorisant l’entraide et la formation de coopérative villageoise.
Ce monarque visionnaire osa aller à contre-courant d’une pensée unique, en prônant l’agriculture biologique, les techniques écologiques et les principes de moralité inspirés de la spiritualité bouddhiste : la modération, la collaboration, le respect du vivant sous toutes ses formes.
Dans les années 1970, la Thaïlande était un pays en développement, marqué par une pauvreté rurale importante. Le roi Rama IX, soucieux du bien-être de son peuple, a cherché des solutions pour améliorer les conditions des exploitants et réduire la dépendance aux marchés étrangers.
Idées simples, effets importants
L’économie d’autosuffisance repose sur plusieurs piliers fondamentaux : l’entraide et la collaboration entre les villageois, la formation de coopératives pour mutualiser les ressources et les savoirs, et l’utilisation de techniques respectueuses de l’environnement. Alors que le monde entier se tournait vers l’industrialisation et la production intensive, il a eu le courage de suggérer un modèle différent, vertueux pour la nature, basé sur la sagesse ancestrale.
Cette idée a permis d’améliorer les conditions de vie de millions de personnes et continue d’inspirer des initiatives similaires. Les nombreuses coopératives villageoises proposent aux agriculteurs de partager leurs connaissances et de mutualiser leurs ressources. Les défis écologiques et sociaux se multiplient, l’économie d’autosuffisance offre-t’elle une alternative durable et prometteuse ?
Un extrait de l’article précédent :
… Les clins d’œil du soleil couchant percent les fenêtres, ses rayons se reflètent dans les terrains noyés sous les eaux. Des vaches broutent les brins d’herbe qui repoussent après la récolte. Elles limitent ainsi leur prolifération et fertilisent le champ, grâce à leur…
Promesse
Nous sillonnons de petites routes secondaires, sous le soleil qui commence à bien chauffer. Nous nous arrêtons près d’un chemin de terre. Notre approche interrompt le délicieux bain de boue d’un buffle. Il nous regarde d’un œil noir, malgré mes excuses. Les quatre-cents kilos en imposent…
Quelques hommes s’activent dans le champ.
C’est étrange, les souvenirs, ils s’oublient puis brusquement, ressurgissent.
Je replonge dans la vase de MA parcelle de riz, j’avais négligé la promesse de 2009 :
– Tu as planté, TA récolte t’attend !
Aujourd’hui, symboliquement, je cueille les fruits de mon labeur…
Machine-outil
Chon nous donne des serpes, et nous explique son maniement, en précisant, si besoin était, que la faucille coupante et acérée peut facilement blesser.
Le cœur vaillant, nous avançons sous le regard attentif de la propriétaire. Elle corrige nous geste de débutant. Les gerbes prennent forme, mais au bout de cinq minutes seulement, une rivière s’écoule le long de ma colonne vertébrale, et inonde au passage mon t-shirt.
Comment notre guide supporte-t-elle son gilet ?
Malgré le vent salutaire, notre volonté de bien faire s’évapore comme les gouttes sur notre front. Nous nous accordons une
Pause
Notre hôte s’assoit dans l’herbe du talus. D’un geste rapide, elle prélève un reste de tige de riz, et deux coups de serpe plus tard, un kazou thaï.
Je copie, j’en fabrique un exemplaire, cela me renvoie en enfance, ou nous nous amusions avec peu de chose.
Musique et éclats de rire, deux langues internationales, qui n’ont pas besoin de traducteur.
Cette année, la culture biologique de la parcelle fructifie généreusement, la famille va vendre une partie de sa moisson au petit restaurant du village, le circuit court avant la mode…
Un dernier cadeau
Alors que nous nous apprêtons à nous séparer, nous trinquons pour clôturer le nycthémère, au bord du lac. L’astre du jour va bientôt tiré sa révérence, sur les eaux calmes, et comme un dernier cadeau j’aperçois cette fillette peint dans la lumière.
Ces expériences inoubliables, même à plusieurs années d’intervalle, me permettent de me découvrir et de me confronter à de nouvelle culture (de riz).
J’apprends à apprécier la simplicité de la vie et la beauté du monde.
N’ayons pas peur de découvrir de nouvelles choses, de l’inconnu, qu’il soit à côté ou au loin, peu importe la distance, le surprenant se trouve partout. Le monde est un endroit vaste et magnifique, plein de surprises et d’opportunités.
Fernando Pessoa (1888 – 1935)
Faisons de l’interruption, un nouveau chemin ; de la chute, un pas de danse ; de la peur, un escalier ; du rêve, un pont ; de la recherche…
une rencontre.
Pour en savoir plus sur le riz et sa culture