Mer de nuages, cette chimère
Le calme régnait. La caressante fraîcheur de la nuit s’invitait dans la chambre par la fenêtre entrouverte. Les voilages, soigneusement choisis par notre hôtesse Jira, dansaient doucement et formaient des ombres chinoises mouvantes et envoûtantes, des souvenirs d’enfance ressurgirent, certains si terrifiants.
Mais pourquoi se réveiller si tôt ?
La mer de nuages
Doré le fleuve serpente
Nos âmes résonnent
5 h du mat,
♫♪ ♫♪ ♫♪ ♫♪ j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son… ♫♪ ♫♪ ♫♪ ♫♪.
Ça y est, vous l’avez deviné… ̄\_(ツ)_/ ̄,
La veille
Notre ami Sorn de Chumphon, un sportif énergique au petit gabarit, au sourire franc et aux yeux noirs au regard perçant, il enchaîne les occupations sans jamais donner l’impression d’être fatigué. Il court avant l’aube ou pédale sur les chemins de sa région natale, puis se soucie de son jardin jusqu’à l’arrivée de ses ouvriers. Il trouve aussi le temps de terminer la construction de sa maison, un projet réalisé avec une grande astuce et une inventivité remarquable. Il reçoit quelques voyageurs avec plaisir et immense cœur.
Il nous dévoila son talent caché, ce soir-là, autour d’une Singha rafraîchissante.
Galerie photo
Sorn éveilla notre curiosité en nous montrant :
et la mer de nuages, cette chimère !
Comment cacher notre plaisir et notre surprise en regardant cette étonnante collection ?
— ภาพถ่ายของคุณไม่ธรรมดา. (Tes photos sont extraordinaires), lançons-nous époustouflés.
Sorn nous répondit avec un timide sourire gêné et devant notre enthousiasme, il nous proposa de l’accompagner le lendemain, pour nous montrer les lieux de ses prises de vue.
L’engouement suscité par ces images nous poussa à accepter sans hésitation son invitation.
Voici comment j’admirai le ballet imaginaire des silhouettes au plafond de la chambre aux…
Premières lueurs de l’aube
Un rapide café brûlant, et nous montons dans le pick-up.
Je prends en route quelques photos expérimentales pour ma série, « Nettement flou » (à découvrir ici). Elle débuta en Isan, et qui trouvera son terme lors de notre dernier transfert pour l’aéroport qui conclura notre voyage.
Des lumières bleutées ou orangées percent de toutes parts, malgré l’heure matinale, les ténèbres. Les insectes, musiciens noctambules, bourdonnent et virevoltent, cherchant un abri pour la journée. Les odeurs de cuisson flottent, mélangées à la rosée, et éveillent des sens endormis. Ce ballet silencieux, orchestré par la nature, compose une symphonie d’accords discrets qui émerveille la forêt et l’ouvre sur une vie nouvelle.
Il parcourt habituellement en petites foulées les quelques kilomètres qui nous séparent de Home Steel Loft, sa maison d’hôte. Nous descendons du véhicule près de ce charmant lac.
Sorn entame l’ascension du sentier, la pente raide ponctuée d’ici de là d’escaliers tout aussi abrupts. Les marches irrégulières rendent la montée encore plus difficile. Une demi-heure de grimpette nous attend à travers la forêt. Le crissement des feuilles de teck écrasées sous nos pas masque le bruit de notre respiration haletante.
Quelques branches en travers du chemin nous ralentissent.
Oh ! non, elles nous forcent à une courte pause.
Le temps de dégager le passage. Mais nous devons nous hâter, le soleil pointe ses rayons et illumine notre parcours.
Enfin, nous atteignîmes le sommet après cette ascension éprouvante. L’impatience de découvrir le spectacle promis est grande. Cependant, la nature avait d’autres plans…
Une vue splendide s’étale devant nous.
Le fleuve Lamae (คลองละเเม-Khlong Lamae) serpente dans l’immense étendue boisée pour se jeter dans le golfe de Thaïlande.
La mer de nuages
Sorn montre sa déception, les conditions météorologiques ne favorisent pas la création d’une mer de nuages (pour en savoir plus). Pas de désillusion pour nous, le paysage nous enchante. Nous resterons là, à contempler le lever du Roi-Soleil jusqu’à l’éblouissement.
La scène me rappelle, évidemment, le « Voyageur contemplant une mer de nuages », un tableau de Caspar David Friedrich, une analyse plus artistique.
Ce paysage, baigné d’éternité, m’inspire et je réalise qu’au-delà de notre quête, de notre objectif initial, je vis une expérience partagée, une intense connexion avec Sorn, des moments suspendus entre le ciel et la terre.
Finalement, ce qui persistera s’avère très différent de nos espoirs tellement vains.
Un sentiment de reconnaissance me submerge et conforte l’idée que ce que l’on souhaite nous échappe souvent, mais que cela nous permet de découvrir des trésors cachés.
Le soleil chauffe l’air ambiant, Sorn est parti en courant dans la pente, il nous indique le chemin opposé, et surprise, il revient en voiture, parce que oui c’est accessible par une voie carrossable. Nous éclatons de rire.
Nous reprenons la route avec encore des images rémanentes dans les yeux. Soudain sans mot dire, Sorn bifurque sur une piste, que nous réserve-t-il ? Le pick-up démarre une ascension vertigineuse. Les lacets étroits et serrés demandent toute la vigilance de notre ami. Les relances s’enchaînent dans les vrombissements du moteur, après chaque virage, le diésel halète (lui aussi) pendant environ deux kilomètres.
Nous atteignons une esplanade ombragée, bordée de quelques habitations กุฏิ (kuti-cellule), d’un « sala ». Une grande terrasse s’étend devant…
Bouddha impassible contemple le lever du soleil et surveille les va-et-vient dans l’estuaire du fleuve.
Suivons son sage exemple.
Notre matinée d’aventure nous avait ouvert l’appétit même en l’absence de la mer de nuages tant espérée. Alors, Sorn nous proposa de goûter une spécialité locale, les ขนมจาก (Kanom dajk)…
Recette
Réunissez quelques amis, indispensables à la réalisation de cette recette, et quelques ฝรัง่ (farangs-étrangers), c’est facultatif, mais ils ajoutent toujours une dose de bonne humeur et quelques éclats de rire. Incorporez un peu de farine de riz gluant, du sucre, de l’eau et de la pulpe de coco, mélangez le tout et déposez dans une petite feuille de palmier…
Pliez et scellez avec une aiguille en bambou.
Attention ! Ça pique.
Passez quelques minutes au barbecue
Retournez
Une bonne odeur se dégage, alors c’est prêt !
L’arôme sucré et délicatement fumé envahit l’air, éveille nos papilles. Nos regards se croisent, emplis d’impatience, le cuisinier retire les kanom dajk du grill. Le moment tant attendu est enfin arrivé…
Ce mélange harmonieux du croquant du caramel, de l’onctuosité du riz parfumé au coco, le léger goût de feu de bois et de la feuille de palmier parachèvent cette œuvre d’art culinaire.
Désolé, tout à ma dégustation, j’oublie la photo du produit fini. (~_°)
Nous voulons en acheter d’autres, nous nous heurtons à un refus catégorique. Pas d’argent, juste le plaisir de se régaler d’un petit déjeuner commun dans le « sala ». (Sur la structure d’un temple ici).
Discrètement, nous déposerons un don.
Ce moment de partage culinaire fut la touche finale d’une expérience qui allait bien au-delà d’une simple excursion.
Un joyau
Partis à la recherche d’une mer de nuages, nous avons découvert un trésor bien plus précieux. Sorn, tel un orfèvre de l’âme, nous a offert bien plus qu’une simple excursion. Chaque moment partagé – de l’ascension matinale à la dégustation des ขนมจาก – est devenu une facette d’un joyau unique, façonné par sa générosité et son énergie contagieuse.
Cette expérience m’a rappelé que la vraie richesse d’un voyage ne réside pas dans la perfection des conditions ou l’atteinte d’un objectif précis, mais dans ces instants authentiques et inopinés qui transcendent les barrières culturelles. Sorn nous a montré comment métamorphoser le quotidien en extraordinaire, comment voir la beauté dans chaque lever de soleil, même lorsque la mer de nuages reste insaisissable.
Je pars non seulement avec un souvenir ; j’emporte une leçon de vie. Comment pourrais-je, à l’avenir, aborder chaque rencontre, chaque périple avec cette ouverture d’esprit ? Comment cultiver cette capacité à s’émerveiller devant les petits miracles qui se produisent tous les jours ?
Ce bijou d’expérience brille désormais dans ma mémoire, me rappelle que le véritable voyage est celui qui nous transforme de l’intérieur.