Connaître les 1000 sourires thaïlandais, indispensable !

Le soleil se lève derrière la maison au milieu de champs odorants de tabac, la brume se disspe peu à peu

Bienvenue en Thaïlande, ce pays où les panneaux peuvent vous égarer, mais où les sourires vous guideront souvent, vous orienteront comme des boussoles vers des rencontres inattendues ou des aventures improbables.

Le soleil se lève derrière la maison au milieu de champs odorants de tabac, la brume se disspe peu à peu

La recherche d’un temple atypique commence sur les routes thaïlandaises, là où la signalisation en alphabet latin se fait aussi rare que les touristes. Une véritable galerie d’expressions jalonne notre itinéraire. L’un nous encourage à poursuivre notre chemin avec entrain, l’autre nous incite à revenir sur nos pas avec une nonchalance malicieuse. Les sourires thaïlandais : GPS émotionnel, simple ou espiègle ? Nous devons plutôt décrypter ce langage aux mille directions.

Les sourires thaïlandais : Un trésor caché

On peut, en terre inconnue, se passer d’une carte, de tongs (ou presque), mais d’un sourire… rarement ! La Thaïlande évoque instantanément des images de sanctuaires dorés, de plages de rêve et de marchés colorés, on oublie, souvent, un trésor caché plus subtil, omniprésent, parfois invisible pour l’œil distrait : le sourire thaïlandais. Il ne se limite pas à une simple politesse ; il incarne toute la bonté et l’harmonie de la culture thaïe. Chacun raconte une histoire !

Mais voici comment je me retrouve, sur la route à chercher un temple atypique dans le brouillard.

Kiloutou : Notre hôte extraordinaire

Nous logeons, pour quelques jours, près du hameau de ท่าบ่อ (Tha Bo). Notre hôte, ancienne chercheuse au CNRS de Marseille, Thaïlandaise d’origine japonaise, incarne l’esprit de la science allié à une vivacité déconcertante. Elle affiche un tempérament aussi affûté que ses yeux noirs incisifs, en retraite depuis peu, mais loin d’être assoupie. Ses cheveux sombres et bouclés ondulent au rythme de son énergie débordante.

Son nom m’échappe, mais au fil des anecdotes, je l’ai surnommée, affectueusement, « Kiloutou », une magicienne capable de sortir une solution à chaque situation. Sa maison longe une piste de latérite. Elle survole sur pilotis les champs, et s’avère bien plus qu’un havre pour les âmes errantes, chaque recoin recèle une astuce ou une idée brillante, une université de la débrouille. Impossible de passer chez elle sans ressentir un rayon de Siam, de repartir sans un conseil, ou un brin de sagesse pratique – et souvent, les trois à la fois.

Nous savourons nos boissons sur la terrasse de bois avec une vue dominante sur les plantations. Les oiseaux virevoltent autour de l’épouvantail.
— Puis-je vous présenter Georges, un compatriote ? Il veut visiter un temple atypique, nous demande Kiloutou.
— Oui, bien entendu, répondons-nous de concert.

Le soleil se couche sur la campagne et, bientôt, la vague de froid inhabituelle nous contraint à ressortir nos polaires et même nos chaussettes. Nous revenons savourer les dernières lueurs du jour, quand le quart d’heure de folie débute bruyamment. Les chats de la maison se lancent, véritables tornades à fourrure, dans une course effrénée. Ils dérapent sur la terrasse, puis dans le hall d’entrée et manquent de faire chuter, le nouvel arrivant.

Georges

Un grand Varois avec des épaules solides, il a affronté mille situations à travers le globe, et sillonné les routes de la région avec cette tranquille assurance qui le caractérise, sa présence ne passe pas inaperçue. Il porte une paire de lunettes qui donne à son visage rond, un air bienveillant. Ses yeux clairs, véritables fenêtres sur l’âme, observent avec une curiosité sereine, une touche de malice. C’est sûr, il savoure chaque moment de son parcours. Il ne manque pas de légèreté, malgré sa corpulence majestueuse, bien au contraire — son humour et sa bonne humeur charment les cœurs autour de lui.

Georges, ce voyageur de la vie, transforme ses périples en promenade. Nous passons une partie de la soirée à prévoir l’itinéraire sur la carte et rendez-vous le lendemain matin, pour aller découvrir ce temple atypique.

Sourires thaïlandais, une grande conversation devant un arbre au feuille d'or entre mon épouse et un moine.

En terre de sourire inconnu

Les feuilles vert tendre du champ de tabac libèrent dans l’air une symphonie d’arômes. Un parfum capture l’essence même de la vie et emplit la brise d’une odeur terrestre et céleste.

Les effluves herbacés dansent avec les notes sucrées. Elles composent une mélodie olfactive qui enivre nos sens et éveille nos âmes.

Chaque vent doux apporte une nouvelle vague envoûtante, nous rappelle la générosité du sol et la promesse de récoltes abondantes. La nature elle-même distille ses plus magnifiques secrets dans ces feuilles ondoyantes.

Comment cette fragrance de paradis peut-elle cachait une réalité tout autre ? Les cendriers, ces urnes modernes, cette puanteur, cette antithèse même de la vie dégage cette odeur âcre et piquante de fumée froide qui s’accroche aux narines et refuse de les lâcher !

Toute la beauté et la pureté du champ de tabac semblent perverties, transformées en un miasme nauséabond qui parle de destruction et de regret. Les relents de mégots écrasés racontent une histoire de plaisirs éphémères et de conséquences durables.

Dans ce contraste saisissant se joue le drame d’un côté, la promesse d’une nature généreuse, de l’autre, le rappel cruel des excès humains. Un gouffre sépare ces deux mondes, l’innocence de l’expérience, la fraîcheur de la corruption.

Les arômes du tabac nous enveloppent, nous réalisons que la Thaïlande, tout comme ces champs, recèle bien des paradoxes. Le plus intrigant reste cette omniprésence du sourire, véritable institution nationale…
On compte autant de variations que dans la palette de couleurs d’Eugène Delacroix. Chaque nuance subtile véhicule une émotion différente dans un langage silencieux, mais puissant…

Une armée à notre service

Ne croyez pas qu’on sourit à la légère. Non ! On compte, ici, une véritable armée de sourires préparait à toute éventualité, comme des ninjas émotionnels bien entraînés.

Deux femmes nous regardent du haut de leur terrasse, assise sur les marches devant le mur de paille. Nous avons intérompu leur conversation, ça les amuse

Chaque ยิ้ม (Yim – sourire) a sa propre mission. Voici quelques exemples de ces guerriers expressifs prêts à tout moment…

  • ยิ้มทั้งน้ำตา (Yim Thang Nam Taa) : le sourire de joie extrême qui ferait pleurer un galet ou « je suis si triste intérieurement, mais je souris toujours ».
  • ยิ้มทักทาย (Yim Thak Thai) : Le sourire de politesse, une carte de visite virtuelle bien avant l’ère du numérique, à échanger lors d’un premier ไหว้ (waï-salut traditionnel).
  • ยิ้มชื่นชม (Yim Cheun Chom) : le sourire d’admiration, celui qui te fait croire que tu es la nouvelle merveille du monde.
  • ฝืนยิ้ม (Fuen Yim) : le sourire poli qui s’affiche après une mauvaise blague, juste pour faire plaisir.
  • ยิ้มมีเลสนัย (Yim Mee Lessanai) : le sourire qui dissimule un plan machiavélique, je vais piquer ta dernière หมูสะเต๊ะ ! (Satay mou – brochette de porc).
  • ยิ้มต่อต้าน (Yim Yaw) : le sourire du « Je le savais ; je te l’avais bien dit », alors que tu es trempé de la tête aux pieds.
  • ยิ้มเหยาะแหยะ (Yim Yae-Yae) : le sourire de résignation face à l’adversité. Tu as commandé un plat trop épicé, mais que tu ne veux pas perdre la face.
  • ยิ้มเศร้า (Yim Sao) : le sourire triste, celui que tu as au pied de l’escalator de l’aéroport de Bangkok !
  • ยิ้มแห้ง(Yim Haeng) : le sourire gêné, oups ! je n’aurais pas du…
  • ยิ้มทักทาย (Yim Thak Thaan) : le sourire de désapprobation, quand tu mets la fourchette dans ta bouche.
  • ยิ้มเชือดเฉือน (Yim Cheua-Cheuan) : le sourire du vainqueur, celui qui s’épanouit quand j’ai réussi à te piquer ta dernière brochette de หมูสะเต๊ะ (Satay mou – porc).
  • ยิ้มซื่อซื่อ (Yim Soo) : le sourire de la personne qui affronte l’impossible, à faire un karaoké en Thaï, et j’ai des vidéos, si vous ne me croyiez pas.
  • ยิ้มไม่ออก (Yim Mai Awk) : le sourire forcé, sans motivation, pense à ta première fois devant un durian ou un maroilles.
La petite vendeuse avec sa couette de cheveu noir sur le côté sourit en rendant la monnaie

Nous nous bravons les méandres du Mékong à la recherche de notre fameux temple. Là, chaque visage deviendra une énigme à déchiffrer, chaque sourire, une boussole…

Sur le Mékong embrummé, deux pêcheurs relèvent leur filet à la rame dans le silence…

Brume et méandres du Mékong

Nous longeons la frontière naturelle entre le Laos et la Thaïlande, le Mékong, serpent doré ondulant sous la brume matinale. Ce fleuve, majestueux et mystérieux, drape le village de ท่าบ่อ (Tha Bo) de la région de หนองคาย (Nong Khaï) dans son voile diaphane. Quand l’air chaud et humide du jour précédent se heurte à la fraîcheur de l’eau, il donne naissance à ce brouillard épais, presque tangible, qui enveloppe les rives comme un secret bien gardé. Seuls ceux qui s’y aventurent tôt peuvent le percer.

Le froid, vif et tranchant, se glisse sous nos vêtements, et découpe des frissons en de fines particules. Le ronronnement rassurant de notre Yamaha se fond dans ce tableau, un bruit régulier, presque hypnotique, contrastant avec la lenteur du paysage qui défile à trente kilomètres à l’heure, pas plus. Ici, l’urgence n’a pas sa place. On se contente de suivre le cours du Mékong, frontière liquide, frontière mouvante, qui semble respirer sous la brume.

Nous nous arrêtons un instant pour photographier un panneau indicatif, cette fois encore inscrit en double graphie : thaï et latin. Ce réflexe, acquis au fil de nos nombreux détours et de notre constante recherche de navigation dans un monde où la langue se transforme en énigme, me rappelle mon enfance, à l’âge de quatre ans. Les mots me filent entre les doigts comme des poissons trop rapides. La traduction approximative, c’est une loterie, un coup de dés. La prononciation du thaï, elle, ne se plie pas facilement à l’alphabet latin. Vous avez sans doute déjà lu notre petit manifeste à ce sujet, intitulé « Gps dans les choux », une ode à nos échecs cartographiques.

Mais ici, l’erreur s’avère plutôt banale presque ritualisée. Chaque détour promet une rencontre.

Sur le bord de la route, ce travailleur se réchauffe près d'un petit feu de bois

Je vois un éclat de flammes dans la brume, cet un homme accroupi, à la peau cuivrée, il réchauffe ses mains au-dessus d’un feu de bois. Son sourire lumineux, comme s’il nous attendait depuis toujours, devient notre boussole. Il nous indique tout droit de son bras tendu avec une assurance désarmante. Nous poursuivons fort de sa confirmation notre chemin.

Un deuxième sourire apparaît, aux détours d’un virage, celui d’un villageois, tout aussi subtil, tout aussi énigmatique. Je m’arrête et tente un timide :

– สวัสดีกราบ (sawatdikrap – bonjour)
– สวัสดีกราบ (sawatdikrap – bonjour)
Je continue en espérant que ma prononciation ne provoque pas un éclat de rire.
– กรุณาวัดอยู่ที่ไหน (karunawatyoutinaï- s’il vous plait où se trouve le temple ?)
–  (°_°) ???… il cligne des yeux, visiblement perplexe, avant de m’offrir un sourire sibyllin.
— ตรงไปข้ (trongpaï – tout droit) en mimant le parcours dans l’air, mais il nous fait signe de rebrousser chemin, une invitation douce à revenir sur nos pas, à réévaluer notre direction.

On sourit, à notre tour, face à ce ballet de signaux contradictoires. Mais peut-être que le temple que nous cherchons se trouve juste à quelques distances… ou nous nous trompons de voie. Mais peu importe, le vrai trésor ici, c’est ce voyage à travers les sourires et les rencontres, après tout, la route serpente, tout comme la vie. Elle hésite, s’arrête, puis nous ramène souvent là où nous n’imaginions pas revenir.

Révélation


Je réalise que j’accueille ces sourires avec ma culture et mon regard biaisé, je comprends, brusquement, que les Thaïlandais ne disent pas non, enfin pas frontalement. Ils édulcorent les refus et dissimulent une gêne, un embarras ou une situation sans issue, derrière un sourire.

Nos guides improvisés ne veulent pas me froisser, ne pas me faire « perdre la face » et ils me laissent croire que je parle thaï aussi bien que je le pense !

Le sourire thaïlandais, bien plus qu’une simple expression de joie, se révèle être un code complexe, où chaque sourire esquisse une nouvelle direction, parfois inattendue.

Ne pas confondre

Une chose devient claire : dans ce pays, un sourire n’est jamais juste un sourire. Maitrisons leur décodage afin d’éviter les labyrinthes de malentendus…

Certains hommes voient dans le sourire amical d’une Thaïlandaise, une invitation ou un signe d’intérêt romantique, lecture erronée. Les visiteurs étrangers doivent l’accepter comme un outil de communication complexe et nuancé, et surtout ne pas l’interprétait uniquement à travers le prisme de sa propre culture.
Pour ma part, j’essaie de voyager léger, avec le minimum d’apriori, de sentiment de supériorité, et avec une envie de comprendre et de ne pas juger.

Chaque sourire représente une pièce d’un puzzle émotionnel. Devenir un expert en la matière nécessite un peu d’entraînement, tout comme maîtriser les tonalités des voyelles thaïes, un exercice qui peut rapidement prêter à… sourire. 

Le temple atypique reste introuvable, malgré nos multiples demandes, nous nous heurtons à des énigmes.
Mais la destination ne compte pas vraiment, la façon dont on s’égare en chemin constitue les meilleurs souvenirs. Tous les voyageurs stoppent, pour recharger leurs batteries.

Au bord du lac, des cabanes sur pilotis au dessus de l'eau, terrasse du restaurant.

Une pause méritée

Bientôt midi, notre estomac ressemble à une oasis asséchée.
Nous avons repéré, lors de nos allers-retours, ce lac bordé de quelques ศาลา (sala), un assemblage de planches posé sur pilotis, le tout couvert de feuilles de palmier tressées. C’est l’endroit idéal pour une halte méridienne. Ces constructions procurent une ventilation naturelle très agréable, parce que les températures passent de congélateur le matin jusqu’au grille-pain à douze heures. Nous empruntons un long ponton de bois qui enjambe l’eau et les viviers et prenons place à notre table. Nous consultons le menu écrit en Thaïlandais, et qui, pour nous, ressemble à ceci :

En Italie, un menu pour touriste à 15€, totalement vide…

Sa lecture, une nouvelle fois, nous ramène à notre illettrisme. Nous regardons les plats de nos voisins, nous repérons ceux qui contiennent le moins de rouge. Qui dit rouge, dit piment. Nous montrons nos choix respectifs, un poisson au citron, un au sel, et un au barbecue. La serveuse demande à la suivre. Devons-nous aller en cuisine ou faut-il les pêcher ? Presque !
Nous devons prendre nos responsabilités et sélectionner dans le vivier, la pièce qui rejoindra notre assiette.
Au cours de la dégustation de nos pauvres victimes, nous parlons de notre matinée, nous abordons les interactions de cette matinée et l’influence bouddhiste.

Bouddhisme

Le bouddhisme influence certainement la capacité à accueillir les idées chinoises, et celles de l’Inde. Ce mélange des traditions engendre donc une variété de standards auxquels chacun se confronterait. Ainsi, la culture thaïlandaise s’assouplit, elle possède peu de normes et de règles en comparaison avec la nôtre, plus « rigides ». Les points de vue distincts et la manière de se conduire, appartiennent à chaque individu. Ils tolèrent, conscients de ces divergences, chez les autres des comportements qu’ils jugeraient inappropriés pour eux.

Le bouddhisme permettrait également d’expliquer le sourire thaïlandais et cette apparente tendance au « laisser-aller ». Les concepts d’impermanence, de souffrance et de recherche de la paix intérieure rappellent que rien dans ce monde n’est réellement important ou conséquent.

Maintenant

Vous ne verrez, maintenant, plus un simple sourire ou une politesse de surface, mais un véritable acte de connexion. En Thaïlande, sourire, c’est déjà faire un pas vers l’autre, tendre une main invisible qui rappelle que, malgré les différences culturelles ou linguistiques, un langage universel nous lie : celui de la gentillesse et de l’humanité.

Comment une expérience de voyage vous a-t-elle aidé à « apprendre le monde » d’une manière inattendue ?
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